RGPD / Comment une réglementation fondatrice s’est-elle muée en rupture culturelle ?

 

Pour beaucoup d’entre nous, 2018 restera comme une année charnière en matière de protection des données à caractère personnel.  Le battage médiatique fut tel qu’aujourd’hui nul n’ignore plus l’entrée en vigueur du désormais célèbre Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), un outil législatif européen qui a induit une double prise de conscience.

La double prise de conscience liée au RGPD

1. Les impacts organisationnels du RGPD : la prise de conscience par les organisations de l’ampleur insoupçonnée des contraintes et des sanctions liées au traitement des données de citoyens européens

La mise en application du RGPD, en mai 2018, constitua un événement majeur pour tous les acteurs du monde économique belge.  Mais pourquoi le RGPD, un règlement qui confirme en grande partie une législation déjà existante, a t’il eu un impact aussi important dans les organisations ?

La crainte des lourdes sanctions financières réservées aux contrevenants ne fut sans doute pas étrangère à la prise de conscience qui s’est rapidement installée autour du RGPD.  Le législateur avait bien fait les choses et les montants évoqués (jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial) avaient de quoi capter l’attention des managers les plus distraits. Depuis de grands acteurs privés ont senti passer le souffle des premiers boulets (1) mais la perspective d’amendes exorbitantes a peu à peu cédé sa place dans l’inconscient collectif à un autre péril, bien plus dommageable….

(1) : C’est notamment le cas en France où la CNIL a sanctionné Google de plusieurs dizaines de millions d’euros, une somme importante mais qui en regard d’un CA annuel de 77 milliards de dollars reste bien dérisoire.

Quand la perte de réputation devient la véritable sanction…

Alors qu’entretemps les entreprises publiques (et leurs mandataires) se sont vues exonérées des sanctions administratives (…), les sociétés cotées en bourse ont compris l’impact potentiel gigantesque d’une utilisation abusive des données à caractère personnel sur le cours de leurs actions.  Ainsi, lors du scandale Cambridge Analytica, où Facebook fut accusé de revendre les données de ses utilisateurs, le réseau social fit le deuil de 60 milliards de dollars de capitalisation boursière et Mark Zuckerberg de 9 milliards de sa fortune personnelle.  Depuis lors, il ne se passe pas un mois sans qu’un sujet lié à un usage abusif de données personnelles ne se glisse à la une des journaux !

Mais les dommages collatéraux de ces mauvaises pratiques ne se limitent pas au seul cours de bourse.  Car si ces pratiques effraient les investisseurs, elles font également fuir clients, collaborateurs et partenaires en écornant durablement l’image de marque des délinquants.  Au final, entre les chutes boursières et les investissements dans des campagnes de reconquête de notoriété, l’addition est lourde pour les contrevenants !  Bon nombre d’organisations publiques ou privées, petites ou grandes, réalisent aujourd’hui que le risque d’atteinte à leur réputation est devenu réel et non-négligeable mais comprennent-elles toujours l’ampleur du mouvement qui s’est engagé ?

Quand la protection des données à caractère personnel devient un défi stratégique.

Ces scandales, procès et sanctions financières ne sont en effet que la partie émergée d’un iceberg qui s’enfonce plus profondément dans la conscience collective de notre société. La politique de protection des données personnelles mise en place par une organisation n’est plus une obligation légale mais un critère d’appréciation de ses valeurs, de son éthique et de sa probité ! Bientôt, elle constituera pour chacun d’entre nous un moyen d’estimer une entreprise avec laquelle nous établissons des relations et de poser des choix relatifs à notre consommation, tout comme nous le faisons aujourd’hui avec les critères environnementaux et sociétaux.

Menace ou opportunité stratégique ?

Dans le monde économique moderne, il est devenu impensable de mettre en œuvre de nouveaux services en ligne, publics ou privés, sans prendre en compte ce changement de paradigme essentiel. Un service de qualité passe donc aussi par la prise en compte de ces paramètres de protection des données dès les premières étapes de la conception. Nous sommes à l’aube d’une lame de fond qui permettra aux audacieux qui l’auront anticipée d’en tirer profit en se positionnant avantageusement et qui plongera les négligents dans les abîmes de la perte de crédibilité.

« Le RGPD constitue donc une chance unique,
pour chaque acteur économique, de réaffirmer ses valeurs,
de se différencier et de revenir à ses fondamentaux »

2. Les impacts culturels du RGPD : la prise de conscience par les individus de la valeur (financière, morale, …) de leurs données à caractère personnel

Excité par les média qui ont mis en lumière le RGPD, le citoyen lambda n’est plus un oiseau pour le chat. Il comprend que la majorité des services offerts gratuitement en ligne ont fait de ses données un business très lucratif. Et comme le dit l’adage : « si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit ! ».

Un changement fondamental des réflexes et des comportements du grand public

Cette prise de conscience induit dans le grand public une hyper vigilance qui confine peu à peu à la méfiance.  En ligne ou en live, le citoyen n’est plus aussi enclin à divulguer ses informations personnelles.  Aujourd’hui on réfléchit avant de s’inscrire à la newsletter d’un portail internet ou de noter son adresse au dos de la carte de fidélité d’un fleuriste, de peur de voir partir nos informations dans les limbes opaques d’un traitement des données que nous ne maîtrisons pas.  Certains redoutent même l’intensification de la surveillance systématique et la génération de revenus à leur insu.

Les convoitises dont font l’objet les données à caractère personnel doivent être balancées par les droits légitimes des personnes concernées.  C’est pour cette raison que fleurissent aujourd’hui des solutions différentes (Qwant, DuckDuckGo, …), n’hésitant pas à mettre en avant leur caractère protecteur des données personnelles et à en faire un véritable « argument de vente ».

Protéger les données sans tuer le commerce

Le RGPD conscientise le client sur ses droits mais il limite également l’arsenal marketing/commercial des entreprises.  Si chacun se réjouira de la diminution sensible du nombre de spams dans sa boîte mail, les directeurs marketing se voient quant à eux contraints dans leur catalogue d’actions.  A ce titre, on soulignera, non sans sourire, la différence fondamentale de vision entre européens (protection de la vie privée) et américains (protection du commerce et de l’esprit d’entreprise).  De quel coté de l’Atlantique que l’on se place, le débat est loin d’être manichéen et le législateur devra réguler dans la durée pour protéger le citoyen mais aussi pour ne pas (trop) entraver le commerce légitime.

 « Entretemps le RGPD donnera aux entreprises l’occasion
de se recentrer sur « l’intérêt légitime » de leurs démarches
et de revalider les fondements de leur prospection ».

Comment réussir la mutation de son organisation et transformer le RGPD en avantage compétitif de protection des données ?

Mielabelo est impliqué dans une multitude de projets liés à la protection des données à caractère personnel, dans le secteur public ou privé.  Cette position centrale lui permet d’observer les évolutions du marché et d’anticiper les opportunités et les menaces.

Les choses bougent !

Du comité de direction à la machine à café, la protection des données à caractère personnel se fraye un chemin dans toutes les strates et toutes les conversations.  Les structures les plus agiles ont identifié cet enjeu stratégique et l’intègre déjà dans leur organisation interne et leurs processus pendant que les autres acteurs se conscientisent peu à peu à cette nouvelle réalité.  Mais à l’exception de grandes organisations privées qui disposaient déjà d’une culture de la conformité et pour lesquelles le RGPD n’était qu’une obligation supplémentaire, peu de structures ont assimilé les changements fondamentaux dont le RGPD n’est que le sommet émergé.

4 types de comportements se distinguent au sein des organisations :

  1. LES « VICTIMES »
    Des acteurs en manque de compréhension de l’étendue et de la portée du RGPD, qui perçoivent la mise en conformité comme un fardeau.
  2. LES « PASSIFS »
    Des acteurs sans plan de marche clair et structuré qui n’entameront des démarches qu’en réaction à une éventuelle contravention.
  3. LES « PRAGMATIQUES »
    Des acteurs qui ont entamé un projet de mise en conformité, qui sont confrontés à des problèmes d’interprétation des lois et qui réalisent que le RGPD n’est pas qu’un problème réglementaire, mais aussi informatique, process, organisationnel, …
  4. LES « VISIONNAIRES »
    Des acteurs qui ont compris que la mise en conformité n’était pas qu’un projet mais bien un processus continu, qui nécessite des ressources à long-terme, un engagement concret du management et une profonde mutation de la culture interne. Ces visionnaires font « vivre » la protection des données à caractère personnel bien au-delà de la simple application de la réglementation.  En faisant du respect des données une valeur et une culture d’entreprise,  ils ont compris que ce défi stratégique consiste avant tout en une modification des comportements humains et à la mise en œuvre de réflexes simples, efficaces et transverses.

Devenir un « visionnaire »

Quand les « victimes » se focaliseront sur le ‘QUOI’ (registre d’activités de traitement et l’identification des bases légales, la nomination d’un Délégué à la Protection des Données, la formalisation des politiques et procédures nécessaires, les mesures de sécurité et de protection des données, …), les « visionnaires » s’attacheront au ‘COMMENT’:

Visionnaire dans la gestion des personnes

  • Choisir son DPO (Délégué à la Protection des Données) en fonction de quatre critères objectifs : son indépendance, sa formation, sa certification et sa motivation.
  • Impliquer le management : créer un Comité de Sécurité et de Protection des Données doté d’un véritable pouvoir de décision et rassemblant du personnel d’un niveau hiérarchique suffisant.

Visionnaire dans les procédures et processus

  • Favoriser l’amélioration continue en débutant par établir un véritable état des lieux et un référentiel permettant la mesure de la progression de l’organisation dans le temps.
  • Privilégier une approche collaborative et engageante : utiliser des taskforces multidisciplinaires qui impliquent tous les acteurs et créent le changement culturel.
  • Travailler en amont : intégrer la protection des données au sein des processus clé de l’organisation et notamment avant de procéder à la mise en œuvre des nouvelles activités de traitement.
  • Aligner les mesures de protection sur les risques réels en matière de sécurité de l’information (éviter la surprotection/le surinvestissement ou à l’inverse la sous-protection/le sous-investissement).
  • Documenter les choix posés pour justifier les interprétations du texte légal en cas de contrôle

Visionnaire dans les outils

  • Instaurer un programme pluriannuel structuré permettant à tous les acteurs impliqués de disposer des outils pour appliquer concrètement les bonnes pratiques dans leur travail quotidien.
  • Créer une démarche continue : disposer des outils nécessaires pour maintenir et mettre à jour la base documentaire de conformité sur la durée.

Pour ces raisons, bon nombre d’organisations envisagent aujourd’hui la mise en place d’un système de gestion ISO27001 comme soutien pérenne et durable de ce processus de mise en conformité.


Conclusions

Comme pour tout texte légal, bien des articles du RGPD doivent être correctement interprétés et chaque organisation peut, en documentant ses décisions, justifier les choix qu’elle fait en fonction de ses spécificités propres. Il n’y a donc pas une seule façon de mettre en œuvre la protection des données à caractère personnel, mais bien autant de solutions que d’organisations !

Pour réussir la mutation de son organisation et transformer le RGPD en avantage compétitif de protection des données, il est fondamental de prendre du recul et d’appréhender les choses sous l’angle le plus large possible. 

Les données à caractère personnel interviennent dans pratiquement tous les processus de l’organisation.  S’interroger sur la protection de ces données permet de remonter toute une série d’opportunités d’amélioration au niveau structurel.  Plus complexe qu’une simple ‘checklist’ dont les cases sont à cocher, cette mise en conformité ‘2.0’ s’avère :

  • Un chemin plus long car il s’agit d’un processus continu, gérant la problématique de conformité sur la durée et non un projet avec un début et une fin.
  • Un chemin plus large car les implications du RGPD touchent TOUS les services (IT, RH, …), impliquent de nombreux acteurs (juristes, informaticiens, sécurité de l’information, gestion des risques, ressources humaines, achats, …) et ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Europe.
  • Un chemin plus profond car les réflexes attendus doivent s’intégrer dans une mutation forte de la culture interne.
  • Un chemin plus radieux car bien au-delà de son image coercitive, le RGPD constitue pour chaque acteur économique une occasion unique de se poser les bonnes questions, de revenir à ses fondamentaux et d’induire les changements qui lui permettront de mieux (ré)affirmer sa différence compétitive.